Le calme était revenu. Le brouhaha des amis de passage, pourtant si léger, avait suffit à couvrir le murmure des vagues. Maintenant qu'elle remontait, la mer m'offrait l'isolement et le silence en Wrac'h. Leurs silhouettes à peine disparues sur la plage, je retournais vers la maison phare. Le seuil franchi, je laissais la porte ouverte et mes pas nus sur le béton froid me portaient jusqu'à l'escalier.

Le soleil voilé de cette fin d'après-midi donnait au colimaçon la couleur de l'espoir. La peinture écaillée n'empêchait rien, au contraire. Chaque éclat, chaque copeau se détachant du mur, permettait à la lumière de s'accrocher, de se projeter donnant ainsi l'impression qu'un néon doux et chaleureux, vert et transparent inondait l'espace d'une lueur semi-précieuse qui métamorphosait ces quelques marches en une vis émeraude montant vers la lumière.

Je montais quelques marches et m'asseyais sur l'une d'elle. Le froid du mur saisi mon dos comme le béton l'avait fait de mes pieds. La position était inconfortable mais l'air y était serein. Je fermais les yeux et laissais mes pensées s'envoler. Prisonnières de cette cage d'escalier, elles butaient contre la trappe menant à la lanterne. La lumière émeraude faiblissait et devenait lueur, elle s'évanouissait dans la pénombre naissante ; ou était-ce mes pensées qui la faisaient disparaître en envahissant l'escalier ?

Des pensées vertes comme l'espoir et donc comme l'avenir … 

Cependant c'est vers le passé qu'elles me ramenaient ; vert tendre de l'enfance, vert odorant de la luzerne fraîchement coupée, vert supporter d'un 45 tours, vert d'un velours rapiécé, vert épinards des années de cantine, vert volets d'une grand-mère, vert anglais d'un baiser, vert US d'un cartable usé, vert automobile d'une première voiture, vert tropical d'un bel été, vert sac à dos de vacances, vert que-sais-je des années d'université, vert apeuré des laminaires, vert mentholé des soirées trop arrosées, vert treillis d'un service évité, vert fripé d'une chemise trop bien repassée, vert bleuté d'un chuchoter je t'aime, vert trop brillant des grannys croquées à pleine dents, vert peluché d'un polo trop porté, vert olivier d'une naissance, vert effrayé de l'herbe de février, vert Vitale, vert d'un logo disparu, vert connecté, vert masculin de Guerlain, vert chiné d'une bigoterie, verts ligérien de Chaumont, vert canadiens des canoés, verts kerarbleiziens ; vert émeraude d'une cage d'escalier devenue noire …

La mer et la cage d'escalier étaient pleines l'une comme l'autre et le bruit calme des vagues s'échouant sur Roc'h gored m'extirpait de mon passé. Je me relevais, le dos un peu endolori et les jambes parsemés de fourmis. Le vent frais et iodé s'engouffrait doucement dans la maison-phare, je laissais l'escalier derrière moi, traversais les deux salles et m'appuyais contre le chambranle pour observer le crépuscule presque nuit. 

Au loin, les dernières lueurs du jour se mourraient pour mieux renaître ailleurs ; quand, au dessus de moi, éclairant la mer sombre, jailli un éclat rouge et lumineux, puis un second, et un troisième. Mes verts souvenirs ne butaient plus contre la trappe ; coincés, serrés les uns contre les autres, ils s'étaient immiscés, faufilés, glissés entre les planches pour atteindre la lanterne, ce feu fixe et fort qui les projetait au loin, jusqu'à cet horizon disparu. 

Mes verts souvenirs devenus rouges voguaient maintenant au dessus des flots pour guider les navires et leur éviter les écueils, ils éclairaient leur route et éclaircissaient mon avenir. 

Je refermais la porte pour monter me coucher. La cage d'escalier vide me laissa passer. La nuit fût douce 


Brest 21 juin 2016, Merci à IRVI et ses marins de papier pour l'envie et l'énergie.